dimanche 22 septembre 2013

Le Chaudron

Kiyoko Murata, Actes Sud, 2008. Traduit du japonais par Anne-Yvonne Gouzard.


Avec Le Chaudron, Kiyoto Murata nous offre le récit d'une parenthèse enchantée pour quatre cousins et cousines, le temps d'un été, un roman très simple mais envoûtant: Tami et son frère Shinjiro se voient contraints de passer le mois de juillet à la campagne chez leur grand-mère, accompagnés de leurs cousins Minako et Tateo. Leurs parents respectifs sont en effet partis au chevet d'un vieil oncle inconnu et mourant, parti vivre à Hawaï depuis 1920.

Nae, la grand-mère, vit seule, reclue dans un petit monde isolé, en pleine nature, où elle a ses habitudes. Très âgée, elle a oublié le sens de la vie à plusieurs, le goût de la cuisine et perd peu à peu la mémoire. Les adolescents vont être une sorte de renaissance temporaire pour elle, délaissant leurs devoirs d'été pour aller cueillir des légumes et se balader dans la montagne.
Tami, dix-sept ans, narratrice de l'histoire, prend la cuisine en main et prend plaisir à nourrir sa famille. Le fameux chaudron dont il est fait référence dans le titre est l'instrument de cuisine principal, celui qui fédère tout le monde autour des repas.
" Le lendemain, j'ai fait cuire des aubergines avec des lamelles de bœuf et de konyaku. Le jour suivant du porc sauté à l'ail vert, et le jour d'après, des foies de volaille aux oignons et aux poivrons. Le chaudron était vidé tous les jours."
 Au fur et à mesure du récit ils se rapprochent tous de cette grand-mère attachante, sortie d'un autre monde, qui raconte des histoires de famille inconnues de tous et chante des sutras dans les rizières.

Ce livre vaut le détour tout simplement pour la nostalgie qu'il provoque en nous, celle de ces étés d'enfance durant lesquels le temps se suspend. On suit les journées de cette fratrie (si l'on peut dire) comme une parenthèse onirique dans laquelle les choses les plus simples, comme jouer de la musique ou retaper une vieille bicyclette, deviennent magiques. Sans écriture complexe ni style très travaillé, Kiyoko Murata parvient à nous donner l'impression d'être hors du temps et l'on se surprend à être jaloux de ces ados qui découvrent un mode de vie bien loin de leurs rythmes citadins.
 "Tous les jours, [Shinjiro] fuyait les bruits étranges de la maison, emportant ses livres de classe dans les jardins du temple voisin, où il faisait la sieste. […] Il en avait sans doute encore bien profité aujourd'hui. Sa joue était restée marquée de l'empreinte de l'herbe sur laquelle il avait dormi."
Le personnage de Nae apporte beaucoup au récit. Femme vieillissante, elle reste sur ses positions quant au choix d'immigration d'un de ses frères à Hawaï mais sait céder sa place en cuisine. Au fil du récit elle devient la protégée de ses petis-enfants qui la trouvent touchante quand elle pourrait être ridicule:
"C'était sans doute comme un chapeau, pour se protéger du soleil, mais sa silhouette cheminant à travers les rizières, coiffée d'une serviette pliée en deux au sommet de son crâne dégarni, était stupéfiante. Comme elle ne pèse pas lourd, elle se déplace comme une feuille d'arbre en train de voleter. La serviette sur la tête était sa marque. Elle nous permettait de la repérer au milieu des rizières."
Dès lors cette grand-mère devient la possibilité d'une alternative à la vérité que les adolescents ont jusqu'alors connue et ils se laissent doucement influencer par ses récits alambiqués, secrets de famille qui seraient bien gardés, emplis de fous, d'oncles suicidés et de kappa. D'abord ébranlés par certaines révélations qui font surgir les fantômes de la consanguinité, pas bien méchants puisque toujours comparés aux expériences génétiques sur les pois de Mendel (encore une façon pour Kiyoko Murata de ramener l'humanité à la nature), ils préfèrent finalement laisser le doute planer lentement, comme le temps qui s'écoule durant cet été si particulier pour eux.

En conclusion, Le Chaudron, petit roman d'une centaine de pages, mérite plus qu'une simple lecture à la va-vite. Derrière ses apparences bon enfant, à la manière de Mon voisin Totoro,(1);c'est une ode au retour à la nature qui en dit long sur les Japonais et leur mode de vie, de leur immigration massive vers les Etats-Unis dans les années 20 à la manière de respecter leurs aînés. C'est un livre rare, qui se déguste et se relit... et donne envie de fuir à vélo dans la montagne pour découvrir des cascades et ramasser des racines de lotus.
Quant à débattre de l'adaptation faite par Akira Kurosawa... cela fera peut-être l'objet d'une autre chronique!


(1) Célèbre film d'animation d'Hayao Miyazaki qui traite notamment du rapport de l'homme avec la nature, un des thèmes favoris du réalisateur (retour au texte)

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